Le Retable de Aralar (ou Frontal de San Miguel de Excelsis) et ses états antérieurs
(Traduction en français de l’article publié sur le blog le 25 mars 2022)
En février 2012, peu après la publication de l’annexe sur la Vierge qui préside le retable d’Aralar, Esperanza Aragonés m’a dit que oui, que les connexions que j’avais suggérées avec les Vierges d’autres œuvres de Limoges étaient justes ; mais que, pour la convaincre de l’hypothèse que je défendais dans l’article principal (à savoir que le retable d’Aralar fut le cadeau de fiançailles par lequel Richard Cœur de Lion confirma son engagement avec Bérengère de Navarre), il me fallait d’abord la persuader que la scène représentée dans la galerie inférieure droite était les Fiançailles de la Vierge et non pas l’Annonciation, comme l’affirmaient la majorité de ceux qui avaient écrit sur le retable.
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Pour cela, il était fondamental de confirmer la disposition des plaques des galeries, révélée en 1982 par les restaurateurs du Musée de Navarre après avoir testé leur positionnement d’origine à partir des traces de clous laissées visibles par le vol de 1979. Comme les résultats n’ont convaincu ni les “académiques” ni leurs disciples, et qu’il ne reste de cette étude que l’article publié dans la deuxième édition de El retablo de Aralar y otros esmaltes navarros, je me suis résolu à la reproduire de la seule manière possible à l’époque : photographiquement.
La reconstitution photographique a confirmé l’essentiel de l’agencement révélé par les restaurateurs du musée : à savoir que les plaques de l’ange, de Marie et de Joseph étaient à l’origine disposées comme elles le sont aujourd’hui, mais dans la galerie supérieure gauche. En constatant que l’ange et Marie se tournaient également le dos dans la disposition primitive, j’ai poursuivi mes recherches et publié fin 2012 l’annexe sur les épousailles avec l’approbation dûment accordée par Esperanza.
Quelque temps plus tard, Mikel Zuza me proposa d’aller plus loin et d’étudier la possibilité de reconstituer le frontal d’origine. Au début, cela m’a paru une mission impossible, mais à force d’examiner le retable dans ses moindres détails ainsi que les rares informations disponibles, j’ai fini par identifier les références nécessaires pour fonder une hypothèse décrivant les dimensions et la décoration du cadre qui entourait initialement le corps principal de l’œuvre. L’annexe contenant la reconstitution du frontal fut publiée en mars 2014.
L’enquête suivait une logique limpide : il fallait partir de l’état actuel du retable et remonter le temps en déconstruisant les modifications dont il avait été l’objet. Ce faisant, j’ai non seulement pu proposer une reconstitution aussi fidèle que possible du frontal original, mais également établir une chronologie des différents états qu’a connus l’œuvre au fil de ses huit siècles d’existence. Les voici :
État I-0 ou état originel. Si l’on suit mon hypothèse quant à son origine, le frontal aurait été commandé vers 1186-1188. Des sources d’ordre chronistique et littéraire démontrent que c’est à cette époque que Sanche le Sage et Richard Cœur de Lion scellèrent l’engagement de ce dernier avec Bérengère de Navarre.
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État II-0. Il correspond à la transformation du frontal en retable. Bien que l’on ignore à quelle date précise cela s’est produit, un document daté de 1666 y fait référence sous le terme de « retable », ce qui invite à penser que la réforme eut lieu avant cette date. À défaut d’une meilleure proposition, on peut la situer autour de l’an 1600 ; autrement dit, peu après l’imposition du rite du Missel romain en 1570, qui obligeait le célébrant à dire la messe dos aux fidèles. Sur la partie inférieure du panneau d’origine fut ajoutée une légende qui, probablement, informait de la réforme accomplie. Cette question sera abordée plus en détail dans la prochaine entrée du blog.
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État II-1. Comme l’indique la légende, en 1765, le retable fut emporté à Pampelune pour être “nettoyé”. Selon les notes prises par Mariano Arigita dans un livre de comptes du sanctuaire (aujourd’hui disparu) et que Goñi Gaztambide récupéra en 1971, cette “mise au propre” fut confiée à l’orfèvre José de Jirate (Giraud), et le retable fut remonté comme avant mais avec un nouveau cadre. Évidemment, un élément supplémentaire fut ajouté : la nouvelle légende remplaçant l’ancienne. L’information fournie par Goñi Gaztambide a été ignorée en boucle par ceux qui ont “étudié” le retable depuis, si bien qu’on continue à défendre mordicus que la transformation du frontal en retable s’est faite à cette époque, par les mains de Manuel de Beramendi —sous prétexte qu’il a signé le dessin de la gravure réalisée l’année suivante.
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État III-0. Dans la nuit du 25 au 26 octobre 1979, une bande de malfrats dévalisa le retable, arrachant plaques émaillées, colonnettes, cabochon central de la croix et moulures de cinq des six arcatures inférieures.
Les guides du sanctuaire, suivant les consignes de leur “aumônier-ministre”, Mikel Garciandia, racontent aux touristes que le retable fut démonté minutieusement, comme par des “professionnels”. Mais la réalité est tout autre : les plaques furent extraites à coups de tournevis utilisés comme leviers — d’où les déchirures et les déformations qu’elles présentaient à leur récupération.
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État III-1. En janvier 1982, une fois récupérées la grande majorité des pièces volées, le retable fut transféré nu au Musée de Navarre pour y être remonté. Il fut présenté au public lors de l’exposition El retablo de Aralar y otros esmaltes navarros inaugurée à Madrid le 22 mars de cette même année, puis montrée à Pampelune et Tudela. Un médaillon (le deuxième en partant de la gauche) fut monté à un mauvais emplacement (le cinquième en partant de la droite). Fin novembre, le retable retourna au musée pour y être restauré.
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État III-2. La restauration du retable fut interrompue par les travaux de modernisation du musée. Il fallut attendre le 26 mars 1991 pour le revoir. Durant cet impasse, on récupéra les plaques de Gaspard (Montpellier, 1986) et de l’apôtre (Gand, mars 1982) manquantes. L’exposition de présentation se tint au Musée de Navarre jusqu’au 8 avril. Hélas, en comparant les photos du retable nu et celles prises lors de la présentation à la presse, je découvris que pendant son séjour au musée, on avait volé les deux seuls cabochons rouges qui restaient. Le 20 mai, soit onze ans et demi après le vol, le retable retourna au sanctuaire. Deux médaillons manquent toujours, ainsi que le cabochon central de la croix et les fameux “rubis”.
D’après ce qu’a raconté Lourdes de Sanjosé lors de sa conférence du 23 mars 2021, Alicia Ancho Villanueva, cheffe de la Section Registre, Biens Mobiliers et Archéologie du Service du Patrimoine Historique du Gouvernement de Navarre, a décidé de “s’inspirer” de mes recherches pour les reprendre à son compte et signer le tout de son nom dans l’un des volumes que Príncipe de Viana va publier sur le retable et les autres trésors du sanctuaire. Moi, sur mon temps libre, à mes frais, et avec mon intelligence. Elle, pendant ses heures de bureau en tant que fonctionnaire, avec les moyens payés par les contribuables et... avec mon intelligence. Apparemment, à un moment donné en 2020, le retable a été, entre autres expériences, radiographié avec cette idée. Évidemment, cela lui permettra de faire des observations plus précises que celles qu’autorisent les simples photographies. Pour illustrer les états II-1, III-0, III-1 et III-2, ils vont utiliser des photos qui ont dû surgir de nulle part, parce que lorsque je les ai demandées, elles n’étaient pas dans les dossiers qu’on m’a laissés consulter. Étrange, non ?
D’après “l’experte catalane”, on va réussir à localiser la position d’origine de toutes les pièces du retable. Une fois de plus, elle ne sait pas de quoi elle parle. Avec un peu de chance, Alicia Ancho parviendra à retrouver l’emplacement d’origine des plaques des évangélistes, de la plaque en demi-lune contenant le grand cabochon circulaire qui surmonte celle de la Vierge, et de quelques médaillons. Mais pour son malheur, pour reconstituer le cadre d’origine du retable, elle va devoir recopier mon processus logique et déductif. Fera-t-elle comme Lourdes de Sanjosé et m’ignorera-t-elle aussi ? Ne vous fatiguez pas à répondre. Ces gens du “trio infernal” n’ont aucun scrupule.
©Manuel Sagastibelza, 2022 (traduction de “Janet-gpt, 2025)
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